Définitions et généralités⚓
Définition : Information
Avant de définir ce que sont les fausses nouvelles, fake-news ou autres infox, il faut peut-être commencer par définir ce qu'est exactement une information…
C'est quoi, une information ?
La réponse en vidéo, par France Télévision, dans la série « Les clés des médias ».
Une information n'est pas un avis ou une opinion.
Une information doit avoir un intérêt pour le public, être factuelle et être vérifiée :
Définition : Infox
Une infox est une « information mensongère ou délibérément biaisée, répandue par exemple pour favoriser un parti politique au détriment d'un autre, pour entacher la réputation d'une personnalité ou d'une entreprise, ou encore pour contredire une vérité scientifique établie, et contribuant ainsi à la désinformation du public ».
Pour remplacer l'expression anglo-saxonne « fake-news », devenue beaucoup trop galvaudée depuis l'arrivée d'un certain président états-unien, on recommande plutôt d'utiliser désormais le terme « information fallacieuse » ou le néologisme « infox » créé à partir des mots « information » et « intoxication ».
« Qu'est-ce que les fake-news ? »
Méta-Media, le blog de France Télévisions consacré à l'évolution des médias, nous propose une courte vidéo de synthèse sur le phénomène des infox.
« What the fake ? ! » – Appréhender et détecter les fake-news
RTS – la Radio Télévision Suisse – propose cette vidéo un peu plus complète où le phénomène des fake-news est décrit, expliqué, où leur création, leur fonctionnement et leur propagation est expliqué, et où des pistes sont proposées pour essayer de les détecter.
Les bonnes questions à se poser :
Qui a publié l'info ?
Quelle est la source : média connu, reconnu ou site web inconnu, douteux ?
➜ vérifier la rubrique « À propos du site »
➜ contrôler l'URL du site
➜ vérifier si le compte est certifié (médias sociaux)
Quel est le contenu de l'article ? Est-ce que je l'ai lu en entier ?
➜ Titre racoleur ?
➜ Informations sensationnelles ?
Est-ce que j'ai recoupé l'information, croisé mes sources ?
De quand date l'information ?
Où la photo ou la vidéo a-t-elle été prise ?
Focus : manipulation par l'image⚓
Attention :
L'image est un moyen de communication puissant grâce à sa capacité à générer de l'émotion.
L'objectif initial de simplement transmettre ou renforcer une information est largement dépassé avec le potentiel émotionnel dû à l'image elle-même : l'efficacité de ce média est très forte, une image est très attractive dans un contenu et peut avoir un grand pouvoir de conviction.
Logiquement, l'image est très utilisée pour manipuler les lecteurs ou les spectateurs qui la voient, qui la regardent, car l'émotion qu'elle peut générer est indispensable ou inévitable dans le processus de prise de décision (marketing, design, propagande, etc.)
Manipulation par le cadrage de l'image⚓
Une photo peut avoir un sens totalement différent selon le cadrage choisi au moment de la publier.
Exemple :
Que se passe-t-il sur cette photo ? Selon son cadrage elle peut être interprétée de deux façons totalement opposées…
Quelle interprétation pour les deux cadrages différents, ci-dessous ?
« Un militaire américain prend soin d'un soldat blessé » ?
ou bien « Un prisonnier irakien exécuté froidement par un militaire américain. » ?
Finalement, quelle légende apporter à la photo pour faciliter – ou pour orienter – sa lecture ?
« Un militaire américain donne à boire à un soldat prisonnier » ?
« Les soldats américains se soucient du bien-être de leurs prisonniers » ?
« Encore des maltraitances des soldats américains sur leurs prisonniers » ?
Il manque de toute évidence une légende ou un commentaire, des explications à cette image, quel que soit son cadrage, pour préciser ce qu'elle montre.
➜ Au-delà du cadrage lui-même, il est indispensable d'avoir des éléments supplémentaires pour être capable d'interpréter correctement l'image que l'on voit :
légende, commentaire,
contexte et circonstances,
date
lieu
À l'inverse, l'absence de légende accompagnant une image, ou une légende erronée (volontairement ou par méconnaissance), peut favoriser ou induire une manipulation des lecteurs qui verront cette image.
Manipulation par l'angle de prise de vue⚓
Les questions à se poser :
d'où a été prise la photo, selon quel angle de prise de vue ?
existe-t-il d'autres photos de la même scène, prises depuis un autre endroit ?
Exemple : L'angle de prise de vue peut tout changer !
Photo prise à Londres en avril 2018, à l'occasion de la naissance du fils du prince William, lors de sa sortie de la maternité.
La même situation, photo prise sous un autre angle...
Effectivement, ça change tout !
On le voit, une même scène peut apparaître très anodine vue sous une certaine perspective ou très polémique, vue sous une autre perspective. L’honnêteté intellectuelle (ou la malhonnêteté, selon les cas) de celui qui publiera la photo pourra désamorcer toute dérive et interprétations abusives de la scène, ou au contraire favoriser la circulation de fausses informations construites sur un simple effet d'optique.
Manipulation par retouche d'images : technique de la suppression⚓
La manipulation par retouche d'image est un phénomène aussi ancien que la photographie elle-même.
Une technique très répandue consiste à supprimer sur une image un élément gênant (manipulation par suppression).
Un exemple très connu est celui de la photo retouchée montrant Staline aux côtés de Nikolaï Iejov, chef de la police politique et artisan principal des « Grandes Purges » à la fin des années 30, massacrant des milliers de personnes. Tombé en disgrâce aux yeux de Staline, il est jugé et arrêté. Il devient dès lors « indésirable » dans les images de propagande officielle et est tout simplement effacé de celles-ci :
Exemple : Manipulation par retouche d'images : technique de la suppression
Un autre exemple de manipulation par suppression d'un élément sur l'image originale, plus proche de nous, avec une photo retouchée qui avait fait du bruit à l'époque où elle est parue (2008) : une photo de Rachida Dati, alors Ministre de la Justice, qui a été « retouchée » par le journal Le Figaro avant de la publier dans ses colonnes.
La photo originale, prise sur les bancs du Sénat le 17 juin 2008 :
La photo retouchée au moment de sa publication sur la Une du Figaro du 19 novembre 2008 : la bague relativement imposante (et certainement hors de prix) a curieusement disparu…
Manipulation par retouche d'image : le photomontage⚓
Une technique de manipulation un petit peu plus élaborée consiste à retoucher l'image pour ajouter ou remplacer un élément de l'image originale par un autre élément issu d'une autre image.
Exemple :
Voici un exemple plus récent encore, à partir d'une photo qui a été reprise et retouchée à de nombreuses occasions, à chaque fois pour valoriser ou discréditer les personnes qui y figurent, selon le point de vue politique qu'on adopte :
Photo originale : Marion Maréchal Le Pen en compagnie de Logan Djian, militant d'extrême-droite, ancien responsable du GUD, proche de nombreux groupes néo-nazis. Photo prise en 2014 à l'occasion d'une manifestation de « La Manif pour Tous », contre le mariage pour tous. | Photo montage apparu pour la première fois en décembre 2016, en pleine campagne pour les élections présidentielles. La photo a été utilisée sur les réseaux sociaux dans le but de montrer la proximité du candidat Fillon avec le Front National de l'époque. | Photo montage, encore plus récent, dans lequel on a fait resservir la même photo originale pour l'adapter à l'actualité du moment avec « l'affaire Benalla », pendant l'été 2018. |
Manipulation par modification du contexte de l'image⚓
Exemple :
Là encore, une photo relativement récente qui est subitement ressortie sur les réseaux sociaux cette année, au mois de mars 2019.
La photo elle même est authentique, elle n'a fait l'objet d'aucune retouche, c'est le commentaire qui l'accompagne qui est volontairement trompeur, pour la faire passer pour une photo prise dans un autre contexte, à une autre date et dans un autre lieu.
➜ l'image authentique a été prise en 2015, à Clermont-Ferrand, à l'occasion d'une finale de coupe d'Europe de rugby.
➜ elle est republiée en mars 2019 par un internaute voulant faire croire qu'il s'agit d'une manifestation des gilets jaunes à Bordeaux.
Cette publication, au-delà de son caractère volontairement trompeur, pose tout de même question par rapport à la personne qui l'a publiée, d'une part, et par rapport aux plus de 5600 autres qui l'ont partagée, d'autre part… Comment, à quel moment celui qui publie ceci (et qui n'a visiblement aucune honte puisqu'il ne masque ni son nom ni sa photo – si tant est qu'ils soient vrais) peut-il s'imaginer que personne ne va s'apercevoir de la supercherie ? Comment est-il possible que plus de 5600 autres personnes partagent cette publication sans s'apercevoir de la supercherie ou à tout le moins sans essayer de savoir si cette info est bien réelle ou pas ?
Tous les habitants de Clermont-Ferrand et ceux qui connaissent la ville reconnaissent au premier coup d’œil qu'il s'agit en fait d'une photo prise sur la Place de Jaude : https://goo.gl/maps/T87Vz3qeZYS2
De la même manière, tous ceux qui connaissent Bordeaux sauront qu'il ne s'agit PAS d'une place bordelaise…
Et… pourquoi autant de jaune sur la photo, alors ?
Là encore, il ne faut très longtemps pour trouver la raison de la présence d'autant de vêtements jaunes sur cette place de Clermont-Ferrand, les amateurs de rugby l'auront déjà compris !
Où l'on peut mesurer l'étendue du travail qui reste à faire en matière d'éducation aux médias…
Un cas particulier : manipulation par la représentation graphique⚓
Définition :
Les représentations graphiques de certaines données ou statistiques sont un format particulier d'images qui peuvent transmettre des informations de manière orientée, au mieux de manière involontaire, à cause d'une erreur dans la construction du schéma, au pire de manière volontaire, dans un but manifeste de présenter l'information selon un point de vue idéologique précis.
C'est un grand classique de la communication politique et de certains médias où l'on présente des chiffres et graphiques de telle façon qu'ils soutiennent un discours et des idées, par opposition à la communication scientifique où (en principe…) on présente les données brutes dans une représentation graphique neutre et mathématiquement juste.
Complément :
Un graphique est construit pour visualiser une importante quantité de données, si possible de la manière la plus synthétique, la plus simple possible. Il est cependant facile pour l'auteur du graphique de se tromper lors de sa construction en faisant des mauvais choix de mise en forme pour la visualisation des données dans son graphique. Ces mauvais choix peuvent être simplement involontaires, par manque d'expérience ou de connaissances, ou au contraire être fait sciemment, par volonté de tromper le lecteur.
On peut remarques plusieurs types d'erreurs (ou plusieurs stratégies trompeuses) :
Représentation visuelle non conforme aux valeurs affichées
Variations incohérentes au sein d'un même schéma
Erreur mathématique dans la construction
Omission de données
Construction incomplète (axes tronqués, disparition des axes et des échelles)
Exemple : Représentation visuelle non conforme aux valeurs affichées
Ce premier type d'erreurs est très largement répandu. Les grands médias d'information n'y échappent pas.
La partie rouge du schéma, sensée représenter la part de la population opposée à la grève, couvre une surface supérieure à la moitié du disque, donc supérieure à 50 %, alors que la valeur est en réalité de 48 %.
Simple erreur dans la conception ou volonté délibérée d'exagérer l'impact du graphique en grossissant artificiellement la partie rouge représentant les personnes opposée à la grève… ?
Même principe sur le graphique ci-contre, avec une erreur encore plus grosse : la proportion de personnes qui « jugent décevante l'action du président de la République » est de 36 % et pourtant elle est représentée par une zone qui couvre la moitié du disque, donc 50 %.
Troisième graphique issu lui aussi, comme les deux premiers, de la chaîne d'info en continu BFMTV. Sur la droite de l'image a été rajouté le schéma tel qu'il aurait dû être présenté pour être mathématiquement correct. Au lieu de ça, la partie verte représentant la proportion de personnes favorables à la politique du Président (6 %) a été artificiellement élargie au détriment des deux autres parties. Erreur ou manipulation ?
Où l'on commence à se demander s'il ne faudrait pas que BFMTV paye des cours de maths à ses infographistes…
Passons à CNews, chez qui les 49 % de personnes qui ne soutiennent pas la mobilisation des fonctionnaires sont représentés par une zone largement supérieure à la moitié du disque sur le schéma ci-contre, donc largement supérieur à 50 %…
La question est : comment peut-on laisser passer une erreur aussi grossière et publier un schéma faux comme celui-ci ?
Bien évidemment, le pas sera vite franchi pour dire qu'il s'agit là d'une volonté délibérée d'influencer l'opinion par l'impact visuel du graphique dont on perçoit au premier coup d'œil qu'une large majorité des personnes ne soutient pas la mobilisation des fonctionnaires.
Un autre graphique faux où la part de la TVA et celle de la marge du magasin par rapport au prix de vente d'un DVD sont minimisées. Si ces parts représentent 20 % chacune, soit 40 % en tout, c'est à dire un peu moins de la moitié, elles devraient représenter logiquement un peu moins de la moitié de la surface du disque utilisé pour cette représentation, ce qui est loin d'être le cas sur cette première image où ces deux parts ne représentant visiblement même pas un quart de ce disque…
Le schéma, tel qu'il devrait être :
Sur cette deuxième image une visualisation de la surface qu'occuperaient 5 parts identiques à celles de 20 % (soit 5 x 20 % = 100 %) telles qu'elles sont représentées. On voit bien que ça ne couvre pas la totalité du disque et que le graphique est complètement trompeur.
Ce qui finit par interroger, c'est que ce genre de graphiques très régulièrement signalés, continuent toujours d'apparaître régulièrement sur nos écrans.
Voici le tout dernier en date, du 21 mai 2020, publié sans complexe et sans aucune honte par la chaîne CNews.
N'y a-t-il donc personne dans ces grandes rédactions qui soit capable de s'apercevoir AVANT de la publier qu'une telle représentation est complètement fausse, trompeuse ? Comment la personne qui crée ce genre de représentation sur son ordinateur ne voit-elle même pas que quelque chose cloche ?
Exemple : Confondre hauteur des barres d'un histogramme et surface
Autre exemple avec cette représentation graphique d'un genre particulier puisqu'elle peut faire tout d'abord penser à un histogramme (où les valeurs sont matérialisées par des « barres » plus ou moins hautes) alors que ça n'en est pas un et que la visualisation est matérialisée par des surfaces :
Dans ces conditions, on ne doit pas représenter la valeur 21,9 % par une zone colorée environ deux fois plus haute que celle pour la valeur 10,3 % si les deux zones colorées n'ont pas la même largeur (comme on l'aurait fait avec un histogramme, avec des « barres » de largeur égale).
Avec le choix de ce graphique, où la visualisation se fait avec des surfaces carrées, on représente donc une valeur double (21,9 %) par une surface (orange) QUATRE fois plus grande que celle de la valeur 10,3 %.
Ce graphique est issu d'un article sur Le Monde, article qui présente de nombreux autres types de graphiques :
Il s'agit manifestement d'une erreur dans le choix de la visualisation de ces données, erreur qui aboutit à une perception faussée des deux grandeurs présentées.
Exemple : Variations incohérentes au sein d'un même schéma
Pour illustrer ce type de graphiques faux, un exemple célèbre qui date des grèves au sein de la SNCF en 2018 : la Direction de la SNCF communiquait quotidiennement sur les taux de grévistes et montrait, d'un jour à l'autre, les variations du taux de grévistes sur des graphiques comme les deux ci-dessous.
Sur ces deux graphiques, publiés à 24 h d'écart les 18 et 19/04/2018, on visualise parfaitement le parti pris qui a été adopté par la Direction de la SNCF pour tenter d'augmenter l'importance d'une variation à la baisse du taux de grévistes (pour le 1er schéma) et de minimiser l'importance d'une variation à la hausse (pour le 2e schéma). Sur le 2e graphique, une hausse de 2,89 % est représentée par un écart qui est visuellement 6 fois plus petit que celui qui représente une baisse de 2,6 % dans le 1er graphique…
➜ on n'est clairement plus dans le domaine de l'information par la présentation neutre de données chiffrées, mais bel et bien dans la communication politique soutenue par la manipulation tendancieuse de graphiques.
Autre exemple avec ce sondage IPSOS d'avril 2017, en pleine campagne électorale pour le premier tour de l'élection présidentielle.
On observe dans le graphique proposé des écarts (visuels) incohérents, du même type que dans l'exemple précédent, entre les différentes barres des candidats dans l'histogramme : l'écart de 2,5 % entre Fillon et Mélenchon est représenté visuellement par un écart 3 fois plus important que celui qui est utilisé pour représenter les 5 % qui séparent Mélenchon de Hamon.
➜ Un écart en pourcentage deux fois plus faible est représenté par un écart visuel 3 fois plus grand !
(NB : l'annotation était déjà présente sur l'image)
Exemple : Données utilisées non conformes au titre du graphique
Bien plus sournois et plus difficile à détecter au premier abord, ce type de représentation graphique qui prétend vous permettre de visualiser une certaine chose, alors qu'elle est construite sur des données représentant une autre chose.
Par exemple, sur le graphique ci-dessous (journal Le Parisien – 18 janvier 2019), où les valeurs présentées sur le graphique ne représentant pas ce qui est annoncé par le titre.
Au premier coup d’œil, rien de spécial sur ce graphique qui nous permet de visualiser sur une courbe « l'évolution annuelle des prix des péages ».
Si on prend le temps de comprendre, on voit que cette courbe est construite avec des valeurs en pourcentage, qui ne représentent pas « l'évolution annuelle des prix » mais plutôt l'évolution annuelle des augmentations de prix.
➜ Ce n'est pas du tout la même chose !
Cette courbe trompeuse qui monte et qui descend laisse croire que parfois, selon les années, les prix augmentent et parfois ils diminuent. Or, il n'en est rien. Les valeurs affichées, qui, répétons-le, sont celles des augmentations de prix, montrent bien que les prix augmentent tous les ans et ne diminuent jamais.
Le type de représentation choisi est complètement trompeur.
Pour que chacun puisse appréhender la réalité des faits et se rende compte réellement de « l'évolution du prix des péages » comme c'était annoncé, il aurait bien mieux valu construire le graphique ci-contre, en prenant une année initiale de référence (l'année 2010, ici) associée à un indice 100 par exemple pour un prix initial, puis en en calculant les valeurs des prix de chaque année en tenant compte de l'augmentation.
On voit bien que ces deux graphiques ne donnent absolument pas la même impression, le même ressenti au lecteur.
Alors ? Simple erreur de choix ? Volonté délibérée de véhiculer un certain message, en accord avec l'opinion du journal qui l'a publié ?
Il est difficile, voire impossible de trancher, et c'est un autre débat…
Autre exemple, dans le même ordre d'idée où le graphique montre une représentation extrêmement trompeuse de la situation tout en se basant sur des chiffres affichés bien réels, ceux du taux de croissance du PIB.
La simple représentation graphique des valeurs de ce taux de croissance laisse croire que la situation de la France est en 2021 à un niveau supérieur à ce qu'elle était avant la crise sanitaire, or il n'en est rien.
Ces taux de croissance traduisent une évolution du PIB et c'est bien cette évolution qu'il aurait fallu représenter pour se faire une idée de la situation du pays à un moment donné (2021).
Pour cela le graphique doit être construit non pas à partir de la simple évolution des valeurs du taux de croissance, mais à partir d'un indice de base 100 associé à une année initiale de référence (par exemple l'année 2017 ici) et en représentant l'évolution de cet indice 100 de référence au fil des années, affecté par les variations du taux de croissance.
On obtiendrait le graphique ci-contre.
L'allure générale de la courbe est à peu près identique, elle reflète les variations de la croissance, mais la valeur finale (par rapport à l'indice de référence 100) en 2021 montre clairement que le niveau n'est pas du tout revenu au-dessus de ce qu'il était en 2019…
Le graphique présenté au journal de 20 h de France 2 est donc totalement trompeur.
Et on en revient à l'éternelle question : volonté délibérée de tromper les spectateurs en réalisant un graphique tendancieux ou « simple » erreur de conception par un journaliste fâché avec les mathématiques ?
Exemple : Erreur mathématique
Pas vraiment un graphique ici mais une présentation visuelle fausse à partir de données chiffrées, avec cette image issue du JT de 13h de France 2 du 19 février 2013, à propos de l'augmentation des tarifs de l’électricité :
Le présentateur (qui est tout de même éditorialiste économique à France 2) annonce une augmentation du prix de l'électricité de 6% par an pendant 5 ans et il se hasarde même à dire : « pas besoin d'avoir fait Polytechnique pour s'apercevoir que ça représente une hausse de 30 % »… !
On se rend donc compte que :
le journaliste n'a sans doute pas fait Polytechnique lui non plus,
il commet une erreur mathématique grossière en faisant le calcul : +6 % par an pendant 5 ans = 30 % d'augmentation.
➜ une augmentation de 6 % en un an correspond à un prix multiplié par 1,06.
La 2e année, le prix de la 1ère année sera encore multiplié par 1,06 et ainsi de suite.
Au bout de 5 ans, le prix initial sera multiplié par 1,065 = 1,338 soit une augmentation de 33,8 % (en non pas 30 %).
À voir sur l'extrait ci-dessous :
Exemple : Axe des ordonnées qui ne commence pas à zéro
Un grand classique pour la manipulation de graphiques : tronquer l'axe des ordonnées qui ne commencera donc pas à 0. À partir de là, on peut faire dire à peu près ce qu'on veut à ce genre de graphiques… Voir plus haut l'exemple à propos de la grève à la SNCF.
Sur cette image, deux choses :
en haut, le graphique tel qu'il a été diffusé sur France 2 : un graphique tronqué, sans aucune échelle de valeur en ordonnée (et où il est évident que si elle était visible, cette échelle ne commencerait pas à 0) ➜ la chute (bien réelle) de la côte de popularité de Mélenchon à ce moment-là est visuellement accentuée avec un aspect « dégringolade ».
en bas, le graphique tel qu'il aurait dû être présenté pour être rigoureux : l'axe des ordonnées a des graduations qui commencent à 0, on peut donc valablement comparer les valeurs ➜ la chute de la côte de popularité est évidemment toujours visible mais l'impression donnée est qu'elle paraît bien moins spectaculaire avec des valeurs comparables sur une même base.
NB : ce n'est pas une règle immuable que de devoir faire commencer l'axe des ordonnées à zéro, dans certains cas elle ne se justifie pas, mais ce qui est certain, c'est que c'est une pratique qui est invariablement « oubliée » par tous ceux qui veulent manipuler l'opinion avec des graphiques.
Complément : Trafic de graphiques
Pour terminer cette partie, une vidéo qui reprend l'essentiel au sujet des graphiques
Complément : (Se) Tromper avec les graphiques
« Cette activité de lycée a pour but d'étudier différentes manières permettant de tromper (volontairement ou non) avec des graphiques. En d'autres termes, comment la représentation de vraies données statistiques permet de donner une impression erronée ? »
Vous trouverez ici une séance complète pour une classe de lycée, en rapport avec cette thématique, avec tous les documents associés disponibles au téléchargement (mis à jour en 2021). L'ensemble est publié sous licence libre CC-BY-SA.
Complément : Comment mentir avec des graphiques ?
Support de présentation d'une conférence de Christophe Bontemps, professeur à la « Toulouse School of Economics », INRA, et spécialiste en data visualisation.
Et la captation vidéo de la conférence elle-même :
La « Data visualization » ou « Représentation graphique de données » est une science et un métier à part entière :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Repr%C3%A9sentation_graphique_de_donn%C3%A9es
Quels outils pour vérifier les images ?⚓
Méthode :
Il est impératif aujourd'hui d'être capable de vérifier les informations qu'on reçoit par de très nombreux canaux, et en particulier via les médias sociaux. On vient de le voir, l'image (et la vidéo) est un support privilégié dans les contenus publiés sur le web ; c'est également un vecteur important dans la diffusion de fausses nouvelles.
Il faut donc connaître les points essentiels pour vérifier une photo, une image, une vidéo, et pour juger si l'info qu'elle véhicule ou qu'elle illustre est probablement vraie ou plutôt probablement fausse :
est-ce qu'il s'agit d'une photo originale ou bien a-t-elle déjà été publiée ailleurs, à une date antérieure ?
est-ce qu'on connaît le lieu où la photo a été prise ?
est-ce qu'on connaît la date à laquelle la photo a été prise ?
est-ce qu'on connaît l'auteur de la photo ?
Complément : Vérifier les détails visibles sur la photo
En fonction du contexte dans lequel est publié la photo et des informations et commentaires qui l'accompagnent, on peut essayer de trouver sur la photo des détails qui vont confirmer ce contexte et ces informations (ou qui vont les infirmer) :
quelle est la langue des textes visibles sur la photo (panneaux, devantures de magasins, etc.) ?
comment les personnes sont-elles habillées (les tenues sont-elles conformes à ce qu'on peut attendre en fonction du pays où la photo est supposée avoir été prise, ou en fonction de la saison) ?
comment sont les uniformes des policiers, soldats, pompiers, etc. visibles sur la photo (est-ce en accord avec le pays dans lequel la photo est supposée avoir été prise) ?
peut-on confirmer la saison, la température au moment où la photo a été prise (pour confirmer – ou pas – une date, un contexte) ?
peut-on voir si le type de paysage, de végétation, de relief peut confirmer ou pas le lieu supposé où la photo a été prise ?
Le but de tous ces points à vérifier, vous l'avez compris, est de voir si tous ces détails sont cohérents avec l'information qui accompagne la photo.
Conseil : Vérifier les photos avec Google Images
En se rendant sur le moteur de recherche Google, sur la page « Images » : https://www.google.fr/imghp il est possible de faire une recherche inversée à partir d'une image qu'on possède, pour retrouver toutes les pages où elle a déjà été publiée.
On retrouve ainsi les images qui correspondent exactement à celle qu'on a utilisée pour la recherche inversée, mais également des images similaires. On peut, par la même occasion, retrouver les dates de publication. C'est un bon moyen pour essayer de retrouver si une image est originale ou si elle a été retouchée.
Cf. plus haut, partie « Manipulation par retouche d'images : le photomontage »
Conseil : Vérifier le lieu où une photo est supposée avoir été prise
Il est possible de se rendre compte si le lieu supposé d'une photo est vraisemblable (ou pas) en faisant une simple recherche et visite virtuelle de ce lieu avec le couple Google Maps / Google Street View : on va alors pouvoir vérifier la ressemblance, la présence (ou l'absence) de points communs avec la photo.
➜ Cette photo d'illustration est-elle vraie ?
Conseil : Vérifier les images avec TinEye
TinEye est une moteur de recherche inversée pour des images :
À partir d'une image qu'on lui fournit, TinEye va retrouver toutes les occurrences de publication, toutes les pages où cette image a été publiée.
Les résultats sont affichés avec un ordre de tri basé sur la pertinence du résultat, mais il est possible de modifier le critère de tri pour afficher les résultats par ordre chronologique : très intéressant pour connaître la date de 1ère publication d'une image.
Complément : Vérification des vidéos
Toutes les questions à se poser listées ci-dessus sont évidemment aussi valables pour vérifier les vidéos.
On peut aussi chercher si la vidéo qu'on voit est une version originale ou si elle a déjà été publiée auparavant, sur d'autres sites. Pour cela on peut utiliser l'outil YouTube Data Viewer :
(fonctionne pour les vidéos de YouTube seulement)
On trouvera des images et des vidéos qui pourraient être semblables. Il faut ensuite faire ses propres recherches avec les autres outils connus pour recouper les sources et bien observer les images, chercher les détails, repérer les incohérences.
Exemple : Vérification d'une image publiée sur Twitter.⚓
➜ Contexte (réel) : un attentat a eu lieu à Istambul le 12 janvier 2016, à 10h18, sur la place Sultanahmet.
➜ Mission : vérifier si l'image accompagnant le tweet (et réutilisée à de nombreuses reprises) est vraie.
Un tweet est publié ce même 12 janvier 2016 à 11h20 par une personne annonçant l'information au sujet de l'attentat et l’illustre avec une photo.
Le tweet est toujours en ligne :
Un deuxième tweet est publié à 12h22, reprenant quasiment le même texte et utilisant la même photo.
➜ Méthode : Vérifier sur Google Street View à quoi ressemble la place Sultanahmet à Istanbul et essayer d'y retrouver l'immeuble en flamme qu'on voit sur l'image des tweets :
Vue satellite : https://goo.gl/maps/9JHcCkR1g2B2
Vue « street view » pour visite virtuelle : https://goo.gl/maps/QVTno6LqSKrGh1oD8
On le voit, même en parcourant les lieux dans la visite virtuelle, aussi loin qu'on peut, on ne retrouve nulle part un immeuble qui ressemble à celui qui est en flammes sur la photo des tweets.
Donc, forte suspicion au sujet de cette photo qui est sans doute bien réelle mais qui n'a manifestement rien à voir avec l'attentat qui a eu lieu à Istanbul : elle a été utilisée totalement hors-contexte, pour accompagner (de manière délibérée, ou pas, on ne peut pas le savoir à ce stade des recherches) l'information annoncée dans le tweet, très certainement dans un but de dramatisation (photo spectaculaire), pour « faire le buzz »…
Poussons la curiosité : où se trouve ce bâtiment en feu ? De quoi s'agit-il ?
Après une recherche inversée dans Google Images à partir de l'image de l'immeuble en feu, enregistrée depuis le tweet, on retrouve assez rapidement l'information suivante (cf. image ci-contre) :
Cette image représente donc l'incendie d'un hôtel, qui a bien eu lieu à Istanbul, et, coïncidence, qui s'est déclenché le 12 janvier 2016 en fin de matinée.
Il n'en fallait pas plus pour que cette image devienne la photo toute trouvée pour illustrer de manière spectaculaire l'info à propos de l'attentat.
Twitter (et les autres médias sociaux) ont fait le reste…
Conclusion :
Une vraie information (attentat) et une vraie photo (incendie d'un hôtel) mais sans aucun rapport l'une avec l'autre – si ce n'est qu'elles proviennent de la même ville, Istanbul (coïncidence) – ont été associées dans une publication sur Twitter dans le but d'accentuer le côté sensationnel de l'info. Cela a permis de constituer ainsi une infox relativement « élaborée » puisque composée d'éléments bien réels et avérés si on les prend séparément, la rendant plutôt difficile à démasquer pour qui ne prend pas le temps de faire toutes ces vérifications.
On le voit, le fait de décortiquer certaines publications s'apparente parfois à une véritable enquête qui peut prendre de très longs moments de vérifications et de recherches.
Vérification d'images avec TinEye⚓
Deux exemples distincts pour vérifier des images au moyen de TinEye, moteur de recherche d'image inversé : tout d'abord, une image célèbre (photo truquée) qui ressort régulièrement sur internet depyis des années ; ensuite une image d'actualité bien réelle mais publiée de manière opportuniste, pour coller à un contexte d'actualité qui n'a rien à voir avec le contexte initial de l'image.
Exemple : Un requin attaque un hélicoptère
Il s'agit sans aucun doute de LA photo truquée la plus ancienne et la plus publiée sur internet, depuis de nombreuses années.
Elle ressort régulièrement, sur de très nombreux sites, dans le monde entier, et je ne doute pas de la voir encore et encore republiée sur les médias sociaux.
➜ Mission : Vérifier la date pour savoir si la photo est originale, trouver des preuves de la manipulation.
Que faire si je ne suis au courant de rien, et qu'aujourd'hui je reçois une info me présentant cette photo comme étant réelle et prise à tel ou tel endroit en 2019 ?
Une simple recherche sur TinEye me permettra de me rendre compte que cette image circule sur internet depuis au moins 2008.
Je pourrai donc avoir de gros doute sur le fait qu'elle me soit présentée comme bien réelle et prise cette année…
Si je suis un peu plus curieux, je vais très rapidement tomber sur de très nombreux sites qui expliquent bien évidemment que cette photo est truquée.
Et si je suis encore plus curieux, je vais même arriver à trouver les deux photos originales qui ont servi à faire le montage photo :
Hélicoptère américain, baie de San Francisco - 2001 - Photo de Lance Cheung
Requin, Afrique du Sud - Photo de Charles Maxwell, photographe
Exemple :
Un exemple d'actualité avec cette photo énormément reprise par de nombreux utilisateurs de médias sociaux, photo montrant Emmanuel Macron au restaurant dans une station de ski.
Cette photo a été assortie de commentaires la reliant au contexte des épisodes de violences dans les manifestations des gilets jaunes :
➜ Mission : vérifier si cette photo a bien été prise pendant les manifestations de gilets jaunes en mars 2019 (date de la publication de cette photo avec sa légende).
Là encore, une recherche sur TinEye va nous apporter la réponse : cette photo a été publiée pour la première fois en avril 2017.
Elle a été prise pendant la campagne pour les élections présidentielles, à l'occasion d'une visite du candidat Macron dans une station de ski pyrénéenne.
➜ Conclusion : la photo ne représente donc pas le Président Macron pendant les manifestions de gilets jaunes puisqu'elle a été prise deux ans avant… Il s'agit là d'une volonté manifeste de tromperie, destinée à susciter l'indignation, et donc à favoriser son partage, sous le coup de l'émotion, sans prendre le temps de vérifier.
Pour aller plus loin⚓
Conseil : Guide de vérification
Ce guide est une référence incontournable en matière de vérification d'images, de vidéos, de contenus générés par les utilisateurs de médias sociaux :
Il est consultable en ligne, mais également téléchargeable au format PDF ou EPUB à partir de la page d'accueil du site : http://verificationhandbook.com/
Conseil : StopIntox
Un site utile en matière de conseils pour débusquer les infox : Stop Intox
Conseil : Comment vérifier les images des réseaux sociaux ?
« De plus en plus d'intox circulent sur les réseaux sociaux, […] sur à peu près tous les sujets d'actualité. Un type de manipulation y fleurit particulièrement : les détournements de photos et de vidéos. La mauvaise nouvelle, c'est que les médias n'ont pas les moyens de vérifier toutes ces images sur le terrain. La bonne, c'est qu'il existe aujourd'hui tout un panel d'outils et de techniques qui permettent d'enquêter sur ces hoax. »
Un ensemble d'outils et de méthodes particulièrement intéressants proposés par France24 sur leur site « Les Observateurs », à mettre en œuvre en cas de doute sur l'origine ou la véracité d'une image.